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Science

Quelle émotion cette image suscite-t-elle ? La peur ou le dégoût ?

Marie Desange

La trypophobie vous connaissez? Vous en souffrez peut-être. C’est la peur des motifs irréguliers ou des groupes de petits trous. Mais il ne s’agit peut-être pas d’une phobie après tout. La réaction négative semble être motivée par le dégoût plutôt que par la peur.

La trypophobie n’est pas actuellement reconnue  comme un trouble mental. Cependant, au sein des discussions de forum et des fils de médias sociaux, des milliers de personnes admettent ressentir un malaise distinct lorsqu’elles voient des grappes de trous. Ces personnes peuvent être perturbées par la vue de têtes de nid d’abeille ou de graines de lotus (comme celles de l’image). Certains d’entre nous se sentent même mal à l’aise en présence de chocolat aéré.

Des chercheurs dirigés par Stella Lourenco, psychologue à l’université Emory d’Atlanta (Géorgie), ont décidé d’approfondir la question de la trypophobie et de s’interroger sur ses causes. Plus précisément, l’équipe a voulu s’attaquer aux facteurs physiologiques et psychologiques de cette phobie plutôt étrange. Leurs résultats sont publiés la revue PeerJ.

Bien que le mot « trypophobie » ne soit pas particulièrement familier,  ce phénomène, qui a probablement une base évolutive, est peut-être plus courant que nous ne le pensons.

Peur et dégoût

La peur et le dégoût présentent tous deux un avantage sur le plan de l’évolution. La peur nous aide à éviter les prédateurs affamés, tandis que le dégoût nous dissuade de manger des aliments périmées. Ces émotions négatives sont certes des compagnons psychologiques, mais ce sont aussi des entités distinctes.

Au fil des ans, depuis l’époque de Darwin, les similitudes et les différences entre la peur et le dégoût ont été débattues. Il est désormais établi que les réponses physiologiques sont différentes. La peur active le système nerveux sympathique, tandis que le dégoût déclenche le système nerveux parasympathique.

Le système nerveux sympathique prépare l’organisme à une menace ou à une blessure en augmentant le rythme cardiaque et en contractant les muscles. Le système nerveux parasympathique contrôle les fonctions générales du corps au repos. En faisant en sorte que les muscles se détendent et que le rythme cardiaque diminue.

Schémas répétitifs et peurs primitives

La première question à se poser est de savoir pourquoi les groupes de trous et les motifs répétitifs irréguliers sont effrayants pour notre cerveau primitif d’homme des cavernes.

Certains psychologues pensent que le contraste élevé des images qui provoquent la trypophobie est similaire aux motifs que l’on trouve sur certains animaux dangereux, comme les serpents. Il a été avancé que cette similitude pourrait être le moteur de la réaction négative.

Nous sommes une espèce incroyablement visuelle. Les propriétés visuelles de bas niveau peuvent transmettre beaucoup d’informations significatives. Ces indices visuels nous permettent de faire des déductions immédiates. Que nous voyions une partie d’un serpent dans l’herbe ou un serpent entier et de réagir rapidement à un danger potentiel.

Si nous apercevons un serpent (ou un objet ressemblant à un serpent) dans l’herbe, cela déclenche notre réponse dite de « combat ou de fuite », qui est médiée par le système nerveux sympathique et prépare notre corps à un danger imminent.

Mesurer les pupilles

L’étude a été conçue pour déterminer si une réaction trypophobe est déclenchée par le système nerveux sympathique ou parasympathique. L’équipe voulait savoir si cette étrange réaction est basée sur le dégoût ou la peur.

La pupillométrie, une technique de suivi oculaire qui mesure la taille et la réactivité de la pupille  a permis aux scientifiques d’entrevoir la physiologie qui se cache derrière cette émotion. Des travaux antérieurs avaient montré qu’une réaction de peur induit une augmentation de la taille de la pupille alors qu’à l’inverse, le dégoût entraîne une diminution de la taille de la pupille.

Délicieux ou dégoûtant ?

Forts de ces connaissances, les chercheurs ont montré aux participants trois séries d’images :

  • 20 montrant des animaux menaçants (araignées et serpents).
  • 20 connues pour déclencher une réaction trypophobe
  • 20 témoins comprenant des images de tasses, de papillons et d’autres sujets inoffensifs.

Selon la théorie, si la trypophobie est une réaction de peur, les pupilles d’une personne devraient réagir de manière similaire aux images de bêtes dangereuses et de cosses de lotus. En revanche, si la trypophobie est une réponse basée sur le dégoût, les pupilles devraient se comporter différemment selon les deux types d’images expérimentales.

Après analyse, il est apparu clairement que tant les images d’animaux dangereux que les motifs trypophobes ont déclenché une réponse. Cependant, elles n’étaient pas identiques : les images de serpents et d’araignées ont provoqué une augmentation de la taille des pupilles, tandis que les images de trous ont provoqué une contraction des pupilles.

À première vue, les images d’animaux menaçants et les groupes de trous suscitent tous deux une réaction d’aversion. Les résultats suggèrent toutefois que les fondements physiologiques de ces réactions sont différents. Même si l’aversion générale peut être enracinée dans des propriétés spectrales visuelles communes.

Les chercheurs en concluent que, plutôt que d’imiter des animaux dangereux, les images qui provoquent la trypophobie pourraient rappeler à notre cerveau primitif des aliments pourris ou moisis. Cela déclenche, de manière plutôt sensée, une réaction de dégoût et une aversion pour ces images.

Il est intéressant de noter que l’étude a été menée sur des étudiants, dont aucun n’a déclaré souffrir de trypophobie. Le fait qu’ils aient trouvé des effets dans cette population suggère un mécanisme visuel assez primitif et omniprésent qui sous-tend l’aversion pour les trous.

Donc, si vous souffrez de trypophobie, rappelez-vous : vous n’avez pas peur des trous, ils vous dégoûtent.

 

Source

https://peerj.com/articles/4185/

 

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