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Médecine douceSanté

Cancer : les éléphants ont moins cancer que nous, sauf s’ils fument

Hélène Leroy

En théorie, nous devrions être constamment touchés par le cancer: notre ADN est en effet une molécule très fragile. Elle subit chaque jour plusieurs agressions chimiques et physiques (rayons UV, virus, substances cancérigènes).

Combinés aux milliers d’erreurs qui surviennent spontanément chaque jour lors de la division de nos cellules, ces dommages à l’ADN ont le potentiel de provoquer des mutations dans des gènes essentiels et d’ainsi dérégler l’équilibre de la cellule et soutenir sa croissance incontrôlée.

Ce n’est évidemment pas le cas, et ce scénario est fort heureusement beaucoup plus une exception que la règle. Dans la pratique, la très grande majorité de ces erreurs sont sans conséquences fâcheuses, car elles sont immédiatement reconnues et réparées à l’aide d’une série de mécanismes de protection très sophistiqués, responsables du maintien de l’intégrité de l’ADN. Cette fonction est très importante, car le risque de cancer est fortement augmenté lorsque ces «réparateurs» de l’ADN sont défectueux.

Par exemple, le gène p53 est défaillant dans plus de 50 % des cancers, tandis que les gènes BRCA mutés, transmis par l’hérédité, sont responsables d’environ 5 % des cancers du sein et de 10 % des cancers de l’ovaire.  C’est d’ailleurs pour souligner l’importance de ce phénomène que le prix Nobel de chimie 2015 a  été attribué à Tomas Lindahl, Paul Modrich et Aziz Sancar pour leur contribution exceptionnelle à l’identification et à la caractérisation de ces mécanismes de réparation de l’ADN.

Les animaux de grande taille plus protégés du cancer que les petits

Cet entretien minutieux du matériel génétique semble particulièrement important chez les animaux de grande taille. La taille moyenne des cellules chez les animaux reste assez similaire. En théorie donc, plus un animal est grand, plus son risque de cancer devrait être élevé, car le nombre de divisions cellulaires requises pour atteindre et maintenir cette grande taille est beaucoup plus grand.

De plus, l’espérance de vie de ces animaux est généralement plus longue, ce qui augmente leur probabilité de développer des tumeurs avec le temps. Ce n’est pourtant pas ce qui se produit: une minuscule souris d’à peine 20 g a une probabilité de développer un cancer équivalente à celle d’un être humain 4000 fois plus lourd et même à celle d’une baleine bleue de 200 tonnes, 10 millions de fois plus lourde et qui vit 30 fois plus longtemps.

Cancer: le remarquable système de réparation  des éléphants

Une étude suggère que cette protection pourrait faire appel au suppresseur de tumeur p53. Considéré comme le «gardien du génome», ce gène coordonne la réponse des cellules face aux dommages à l’ADN en activant les mécanismes de réparation ou encore en forçant la cellule à se suicider par apoptose si ces dommages sont trop importants.

En examinant les taux de mortalité par cancer chez plusieurs espèces animales, des savants américains ont tout d’abord observé que, malgré leur grande taille, les éléphants avaient une incidence de cancer d’environ 5 %, plus faible que la plupart des autres animaux (incluant les humains). En analysant les gènes de l’animal, ils ont eu la surprise de constater que les éléphants possèdent 20 copies du gène p53, comparativement à seulement 2 pour les humains! Comme ce gène p53 joue un rôle essentiel dans le maintien de l’intégrité de l’ADN, il est très probable que cette adaptation des éléphants contribue à abaisser leur incidence de cancer.

En ce sens, il est intéressant de noter que, chez les humains, la perte d’une seule copie de p53 cause le syndrome de Li-Fraumeni, un trouble génétique rare, où les patients ont presque 100 % de risque d’être atteints par plusieurs types de cancers.

Si les éléphants fumaient, ils auraient autant de cancer que nous

Malgré leur rôle essentiel, les systèmes qui réparent l’ADN atteignent vite leurs limites lorsque les habitudes de vie créent un surplus de dommages à l’ADN. Si les éléphants fumaient, leur taux de cancer exploserait, quel que soit le nombre de copies de p53 présentes: on estime qu’une personne qui fume régulièrement un paquet de cigarettes par jour accumule chaque année près de 600 mutations dans l’ADN de ses cellules pulmonaires, plusieurs de ces mutations touchant même la protéine p53.

En somme, ces observations viennent nous rappeler que notre corps possède une remarquable capacité à nous protéger du cancer et que l’adoption de saines habitudes de vie demeure le meilleur moyen de tirer le maximum de profit de cette protection naturelle.

Source
Peto R : Quantitative implications of the approximate irrelevance of mammalian body size and lifespan to lifelong cancer risk. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci,; 370: pii: 20150198.

Abegglen LM et coll.: Potential mechanisms for cancer resistance in elephants and comparative cellular response to DNA damage in humans. JAMA,

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