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Médecine douce

Un, deux et trois cerveaux

Hélène Leroy

Le cerveau n’est pas le seul responsable des processus nerveux impliqués dans le contrôle de nos pensées, de nos émotions et de nos mouvements. Selon de fascinantes études récentes, l’intestin et la moelle épinière contiennent eux aussi des agencements complexes de neurones qui sont absolument essentiels au fonctionnement du corps.

L’intestin possède un système nerveux indépendant, capable de contrôler les sécrétions et les mouvements nécessaires à la progression des aliments tout le long du système digestif. La taille de ce «deuxième cerveau» est loin d’être négligeable: 200 millions de neurones, soit autant que le cerveau d’un chien! En plus de régler précisément le processus de digestion, ces neurones entériques sont constamment en contact avec le cerveau principal.

Chacun de nous sait très bien à quel point on peut ressentir une émotion «au plus profond de ses entrailles», par exemple la fameuse «peur au ventre» associée à un événement stressant. Ce qu’on sait moins, par contre, c’est que cette communication fonctionne aussi à l’inverse et que ce qui se déroule au niveau de l’intestin peut influencer la fonction du cerveau principal. Lors d’une indigestion, par exemple, le système nerveux digestif informe le cerveau qu’un événement désagréable s’est produit et celui-ci conserve précieusement le souvenir des odeurs, du goût et des sensations physiques provoqués par cet épisode. Cette mémoire est tellement efficace que le simple fait de voir une image ou de sentir une odeur qui rappelle cet aliment suffit très souvent à reproduire la sensation désagréable qu’il avait précédemment provoquée (haut le cœur ou douleur abdominale, par exemple).

Des observations fascinantes indiquent que cette communication entre l’intestin et le cerveau impliquerait aussi la sérotonine, un neurotransmetteur essentiel à la gestion des émotions. Environ 90 % de toute la sérotonine du corps est fabriquée au niveau de l’intestin et des scientifiques ont récemment montré que cette production était une conséquence de l’intense activité métabolique générée par les milliards de bactéries qui se trouvent dans l’intestin. Comme le rôle de la sérotonine dans le contrôle des humeurs est bien établi, cette observation montre encore une fois à quel point ces deux cerveaux coopèrent pour maintenir l’équilibre de l’organisme, tant sur le plan physique que psychique. Comme quoi les anciens taoïstes n’avaient pas tort d’affirmer qu’il doit exister une harmonie entre la tête (la raison) et le ventre (les émotions)…

Et de trois cerveaux

Des observations récentes permettent aussi de penser à l’existence d’un autre cerveau, celui-là impliqué dans le contrôle de l’équilibre. Quand nous marchons, des capteurs situés sous la plante des pieds détectent le mouvement et les changements subtils de pression, et envoient des signaux à la moelle épinière, puis au cerveau pour l’informer de ce qui se passe. Le cerveau utilise alors cette information pour faire bouger correcte- ment les membres de façon à maintenir l’équilibre et à éviter une chute. On peut d’ailleurs assister en temps réel à l’établissement de ces circuits nerveux lorsqu’un enfant apprend à marcher.

Selon les travaux réalisés par une équipe de savants californiens, cette adaptation est rendue possible par l’existence d’un groupe de neurones spécialisés localisés dans la moelle épinière. Ce «mini cerveau» intègre l’ensemble des informations provenant à la fois du cerveau et des capteurs sensitifs des pieds pour coordonner précisément la position des membres, une fonction particulièrement importante pour l’habileté motrice fine, par exemple lorsqu’on doit se dé- placer sur une surface glissante. Combiné au système vestibulaire contenu dans l’oreille interne, à la vision et aux capteurs situés sur les muscles, tendons et articulations, ce mini cerveau permet donc une régulation fine du maintien de l’équilibre.

Ces observations illustrent à quel point le système nerveux est capital pour l’interaction du corps humain avec le monde extérieur. Compte tenu de la somme astronomique d’événements auxquels nous sommes quotidiennement ex- posés et de l’importance de s’adapter rapidement à ces changements, il faut bien admettre que trois cerveaux ne sont pas de trop!

Source

Yano JM et coll. Indigenous bacteria from the gut microbiota regulate host serotonin biosynthesis. Cell 2015;161:264-76.

Bourane S et coll. Identification of a spinal circuit for light touch and fine motor control. Cell 2015; 160:503-15.

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