Réduire les blessures chez les sportives : ce que demandent les experts internationaux
La réduction des blessures chez les sportives ne repose pas sur une action isolée. Elle demande un ensemble cohérent de mesures

Les terrains, les salles et les pistes se remplissent de plus en plus de filles et de femmes. Le sport féminin progresse dans tous les pays, dans presque toutes les disciplines. Cette bonne nouvelle s’accompagne pourtant d’un constat plus sombre : les blessures chez les sportives augmentent aussi et deviennent plus visibles.
Pour répondre à ce problème, le Comité International Olympique a réuni en 2025 des spécialistes du monde entier. Médecins, chercheurs, entraîneurs, dirigeant·es et athlètes ont travaillé ensemble à Lausanne. Leur travail a donné la déclaration FAIR, pour Female, woman and/or girl Athlete Injury pRevention, avec 56 recommandations pratiques pour réduire les blessures et protéger la santé des sportives.
Le message central est clair. Copier les programmes pensés pour les hommes ne suffit pas. Les filles et les femmes ont besoin de mesures complètes, adaptées à leur corps, à leur parcours de vie et à leur environnement social. Cet article présente ces pistes, du bord du terrain jusqu’aux politiques sportives, afin d’aider les parents, les coachs et les sportives à agir dès maintenant.
Comprendre pourquoi les sportives ont un risque de blessure différent
Il est tentant de croire que le risque de blessure est le même pour tous. La réalité est plus complexe. Le risque d’une jeune basketteuse n’est pas celui d’un collégien, même si les gestes se ressemblent.
Le corps, les hormones, l’âge, mais aussi le contexte social et les moyens donnés au sport féminin, influencent ce risque. Le problème ne vient pas des sportives en elles-mêmes. Il vient surtout du manque d’adaptation des programmes, des règles et des environnements à leurs besoins réels.
Plus de filles et de femmes dans le sport, plus de blessures visibles
La participation féminine progresse dans presque tous les sports. Football, rugby, sports de combat, sports de glisse, sports extrêmes, triathlon, trail, la liste est longue. Les filles commencent plus tôt, visent un plus haut niveau et s’entraînent plus souvent.
Avec cette hausse de la pratique, les blessures sont plus fréquentes et surtout plus visibles. Les entorses graves du genou, par exemple, sont mieux repérées chez les jeunes sportives qu’il y a dix ans. Cela ne prouve pas que le corps féminin serait “fragile par nature”. Les experts rappellent que cette hausse montre plutôt un retard dans la prévention ciblée.
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Les programmes d’entraînement, les règles de jeu, les équipements, ont longtemps été pensés pour des hommes adultes. Les sportives sont ensuite venues se glisser dans ce cadre. Résultat, leurs besoins propres ont été peu pris en compte, ce qui augmente le risque de blessure.
Facteurs physiques, hormonaux et osseux à ne pas ignorer
Il est utile de rappeler quelques points du côté du corps. Le genou de la jeune sportive, par exemple, est souvent au centre du problème. Les entorses du ligament croisé antérieur (LCA) touchent de nombreuses joueuses de sports collectifs. La forme du bassin, l’alignement des membres, la souplesse des ligaments, la force des muscles du tronc et des hanches, tout cela joue un rôle.
L’adolescence marque une période sensible. Le corps grandit vite, la coordination change, les charges d’entraînement augmentent. Si le renforcement musculaire et le travail d’équilibre ne suivent pas, les genoux et les chevilles paient le prix.
Les hormones influencent aussi les tissus, les muscles et les tendons. Ce n’est pas une fatalité, mais un paramètre à intégrer dans la manière de planifier la charge de travail. La santé osseuse est un autre point clé. Un apport insuffisant en énergie, des règles irrégulières ou absentes, une carence en calcium ou en vitamine D, augmentent le risque de fractures de fatigue.
Les experts insistent sur une prévention sur la durée de la vie. Elle doit commencer dès l’enfance, se poursuivre à l’adolescence, et continuer pendant la grossesse, après l’accouchement et à la ménopause. Protéger les os et les articulations ne se joue pas en une saison, mais sur des années.
Pression sur le corps, stéréotypes et manque de moyens
Le risque de blessure ne vient pas seulement du terrain. Il vient aussi du regard posé sur le corps des sportives. Les attentes esthétiques pèsent lourd. Corps “mince”, “sec”, “tonique mais pas trop”, peur de “prendre des cuisses” ou “trop de muscles”, commentaires sur les seins ou le ventre, tout cela crée une pression constante.
Ce climat favorise le body shaming, c’est-à-dire les critiques et moqueries liées au corps. Certaines athlètes réduisent alors leur alimentation, cachent leurs douleurs, reprennent la compétition trop tôt après une blessure ou une grossesse. L’énergie disponible baisse, les règles se coupent parfois, les os deviennent plus fragiles. Le risque de fractures de stress ou de tendinopathies augmente.
À cela s’ajoute un manque récurrent de moyens pour le sport féminin. Moins de budgets, moins de personnel médical, moins de préparateurs physiques, moins d’équipements adaptés, vestiaires inadaptés, tenues pas pensées pour les femmes. Tout cela crée un terrain propice aux blessures évitables.
Créer des environnements sportifs sûrs et sans jugement pour les filles et les femmes
La première mesure de prévention est souvent invisible. Elle commence par un environnement sain, qui protège la dignité et la parole des sportives. Les experts de la déclaration FAIR l’affirment avec force. Sans culture de respect, les meilleures fiches d’exercices ne servent pas à grand-chose.
Un club qui se veut protecteur doit bannir le body shaming, refuser un idéal unique de corps, et ouvrir des espaces de parole autour de la santé. La grossesse, la douleur aux seins, les règles, la densité osseuse, ne doivent plus être des sujets tabous.
Dire stop au body shaming et aux idéaux de corps irréalistes
Le body shaming, ce sont ces remarques lancées sans filtre sur le poids, les cuisses, la poitrine ou le ventre. Cela se passe parfois dans les vestiaires, parfois sur un banc de touche, parfois dans une réunion de sélection. Une phrase peut suffire à abîmer la confiance d’une adolescente.
Les spécialistes de FAIR demandent des espaces clairement identifiés comme sûrs, sans insultes ni moqueries sur le corps. L’objectif n’est pas de nier l’importance de la composition corporelle pour la performance. Il est de séparer la discussion scientifique d’un climat de honte.
L’image du corps est liée à l’alimentation et à l’énergie disponible. Quand une sportive mange trop peu au regard de ses besoins, le corps se met en mode économie. Les règles se dérèglent, la densité minérale osseuse baisse. Le risque de fractures de stress grimpe, parfois de façon silencieuse au début. Protéger l’image corporelle, c’est aussi protéger les os et les tendons.
Parler librement de grossesse, de seins et de santé des os
La santé des sportives ne se limite pas aux muscles et aux ligaments. Elle concerne aussi la grossesse, l’allaitement, la douleur mammaire pendant l’effort, la densité osseuse, l’ostéoporose plus tard dans la vie.
Les experts demandent que les sportives puissent parler de ces thèmes sans honte. Une athlète enceinte doit pouvoir discuter de l’adaptation de l’entraînement, des plongeons, des contacts, sans craindre de perdre sa place. Une joueuse qui a mal aux seins à chaque sprint doit pouvoir demander un soutien-gorge de sport adapté, sans moquerie.
La mise à disposition de soutiens-gorge de sport de bonne qualité, de protections adaptées, de temps de récupération après l’accouchement, fait partie des mesures concrètes. De même, un suivi de la santé osseuse, surtout en cas d’aménorrhée prolongée, devrait être vu comme standard, pas comme un luxe.
Mettre en place des politiques contre les violences et le harcèlement
Un autre pilier de la prévention repose sur des règles claires contre les violences. La déclaration FAIR insiste sur les violences physiques, psychologiques et sexuelles. Sans politiques écrites et appliquées, les sportives restent exposées.
Les clubs et les fédérations doivent mettre en place des procédures de signalement sûres. Une jeune joueuse qui subit des remarques déplacées ou un contact non consenti doit savoir vers qui se tourner. Elle doit avoir la garantie que sa parole sera prise au sérieux.
Des sanctions réelles en cas de harcèlement sont indispensables. La sécurité des filles et des femmes doit passer avant les résultats sportifs. Sinon, la pression pour “garder le coach gagnant” étouffe toute tentative de signalement. Or, un climat de peur et de stress chronique augmente le risque de blessure et de dépression.
Les mesures clés des experts pour réduire les blessures chez les sportives
Les recommandations FAIR ne restent pas au niveau des grands principes. Elles proposent aussi des gestes concrets pour la prévention des blessures chez les femmes et les filles, applicables dans les clubs, les écoles et les familles.
Ces mesures touchent l’échauffement, les règles de contact, la gestion des commotions, les équipements de protection et l’adaptation de l’entraînement au corps féminin.
Rendre l’échauffement neuromusculaire obligatoire pour toutes
Les experts recommandent un échauffement neuromusculaire pour toutes les sportives, dans tous les sports. Ce type d’échauffement combine travail d’équilibre, sauts contrôlés, renforcement des jambes et du tronc, coordination et changements de direction.
L’objectif est de préparer le cerveau et les muscles aux gestes rapides et aux appuis instables. Quand il est bien conduit, ce type de routine réduit le risque de blessures des jambes, en particulier les entorses du genou et de la cheville, mais aussi les récidives après une première blessure.
La déclaration FAIR suggère un minimum de dix minutes, au moins deux fois par semaine, intégré dans les séances. Cela ne demande pas de matériel complexe. Un ballon, quelques plots, une surface plate et un encadrement formé suffisent.
Mieux protéger la tête et le corps pendant les contacts
Les sports avec contacts, même modérés, exposent la tête et le corps à des chocs. Les experts demandent des règles claires qui pénalisent les coups à la tête et les charges dangereuses. Il ne s’agit pas d’enlever l’engagement, mais de fixer une limite nette entre contact autorisé et geste dangereux.
La formation des arbitres joue un rôle central. S’ils sanctionnent systématiquement les coups illégaux, la culture du jeu change peu à peu. Les joueuses apprennent à protéger leur corps sans renoncer à l’intensité.
La gestion obligatoire des commotions doit devenir la norme dans tous les sports. Reconnaître les signes, sortir immédiatement la joueuse, ne pas la renvoyer en jeu le même jour, organiser un suivi médical et un retour progressif, tout cela réduit le risque de séquelles à long terme.
Casques, protège-dents et protections : du « optionnel » au « non négociable »
Les équipements de protection ne doivent plus être vus comme des accessoires facultatifs. Les experts recommandent le port systématique du casque pour le cyclisme, le ski, le snowboard, le skateboard et l’équitation. Les parents ont un rôle majeur pour installer cette habitude dès l’enfance.
Pour les enfants et adolescents en hockey sur glace, le protège-dents devrait être obligatoire. Il réduit le risque de traumatisme dentaire et aide aussi à amortir certains chocs. Dans les sports de glace avec contacts, l’usage de protège-cou ou de protections du cou est recommandé pour limiter le risque de blessures graves.
D’autres protections adaptées, selon le sport, complètent cet arsenal. Leur utilisation doit être normalisée et valorisée. Une sportive équipée n’est pas peureuse, elle est préparée. Les clubs et les fédérations peuvent aider en finançant ces protections et en intégrant leur port dans les règlements.
Adapter l’entraînement au corps féminin et à chaque étape de la vie
Les plans d’entraînement ne devraient pas être copiés-collés des programmes masculins. Ils doivent tenir compte de l’âge, de la croissance, des cycles hormonaux, des blessures passées, de la grossesse, du retour après accouchement et de la ménopause.
Le suivi de la charge d’entraînement est central. Trop d’intensité, trop vite, sans temps de récupération, conduit directement à la blessure. Le sommeil, l’alimentation, la gestion du stress scolaire ou professionnel font aussi partie de l’équation.
Il est important de refuser de pousser une sportive à jouer blessée. Cela vaut pour la finale d’un championnat comme pour un simple match régional. Accepter l’arrêt temporaire, c’est protéger sa carrière à long terme.
Donner aux sportives les moyens d’appliquer la prévention au quotidien
Les experts le rappellent avec insistance. La meilleure stratégie de prévention échoue si les sportives n’ont pas accès aux moyens pour l’appliquer. Il ne suffit pas de publier une liste de recommandations. Il faut des budgets, du matériel, des personnes formées et des données adaptées.
La déclaration FAIR insiste sur l’allocation équitable des budgets entre sport masculin et sport féminin. Sans cette base, les ambitions restent théoriques.
Assurer des ressources équitables pour le sport féminin
Les clubs féminins disposent souvent de moins de moyens que les sections masculines. Moins de temps de terrain, moins de suivi médical, moins de préparateurs physiques, moins de psychologues du sport, moins de moyens pour la prévention.
Une approche équitable suppose de financer des programmes de prévention dédiés, du matériel de qualité, un suivi médical régulier et des statistiques de blessures qui prennent en compte les codes de santé propres aux femmes et aux filles. Par exemple, un système de surveillance qui enregistre les troubles du cycle, les fractures de stress ou les douleurs pelviennes.
Sans ces données, il reste difficile d’ajuster les programmes et d’identifier les risques cachés. La prévention éclairée repose sur une observation précise des blessures et de leur contexte.
Former coachs, parents et sportives à la prévention des blessures
La connaissance partagée est un autre pilier. Les coachs doivent être formés à la spécificité du corps féminin. Ils doivent savoir repérer une fatigue inhabituelle, une douleur osseuse persistante, un mal de tête après un choc, un changement brutal d’humeur ou de performance.
Les sportives doivent apprendre à écouter leurs signaux d’alerte. Beaucoup ont été habituées à “serrer les dents” et à tenir coûte que coûte. Or, la douleur n’est pas un simple obstacle mental. C’est souvent un message de protection.
Les parents ont aussi un rôle clé. Soutenir une décision d’arrêt, accepter une sortie de terrain pour suspicion de commotion, encourager le port de protections, demander des explications au club sur la prévention, tout cela crée une prévention partagée, où chacun a une part de responsabilité.
Commencer tôt et penser à long terme, de l’enfance à l’âge adulte
La prévention des blessures se construit dès l’enfance. Les bonnes habitudes de mouvement, le plaisir du jeu, le renforcement musculaire par le jeu, la variété des activités, soutiennent le développement des os et des articulations.
À l’adolescence, l’accompagnement de la croissance devient central. Un suivi régulier, une adaptation de la charge, un travail sur la technique de course, de saut et de réception, protègent les genoux et les chevilles.
Plus tard, il est important de soutenir la pratique sportive après la grossesse et à la ménopause. Le sport reste un atout pour la santé cardiovasculaire, osseuse et mentale. Il doit être encadré de façon adaptée, avec une montée progressive, des exercices pour le plancher pelvien et une attention particulière à la densité osseuse.
Faire du sport un lieu plus sûr pour toutes les sportives
La réduction des blessures chez les sportives ne repose pas sur une action isolée. Elle demande un ensemble cohérent de mesures, appliquées du terrain aux bureaux des fédérations. L’idée centrale de la déclaration FAIR est simple. Protéger la santé des filles et des femmes passe par une approche globale, pensée pour elles et avec elles.
Trois grands axes se dégagent. Un environnement sain, sans body shaming, où l’on peut parler de grossesse, de seins, de règles et de santé des os sans honte. Des mesures concrètes sur le terrain, comme les échauffements neuromusculaires, les protections adéquates, des règles claires sur les contacts et une vraie gestion des commotions. Des ressources équitables enfin, avec des budgets, des équipements et une éducation partagée entre sportives, coachs, soignants et parents.
Chacun peut agir dès aujourd’hui. Un parent qui exige un casque, un coach qui introduit un échauffement adapté, une dirigeante qui demande une politique contre le harcèlement, une joueuse qui ose parler d’une douleur. Chaque geste compte pour rendre le sport plus sûr et plus juste pour les filles et les femmes.